lundi 9 mai 2011

Chapitre 3 - Naissance, Enfance, Adolescence

NAISSANCE

Je suis donc née au printemps de l’année 1956 dans une famille juive ashkénaze. Enfin ashkénaze aux trois quarts puisque ma grand mère maternelle était séfarade.
Mes grands-parents paternels s’étaient établis en France en 1925 arrivant de Belz en Bessarabie, province de l’Empire Russe. Ils avaient six enfants, quatre garçons dont mon père, et deux filles. Tous étaient nés en Russie sauf mon père, le petit dernier qui vint au monde en France en 1928. 
Mon grand-père maternel était lui aussi né à Belz et vint en France lorsqu’il était encore enfant avec ses deux frères et  sa mère déjà veuve. Les deux familles se connaissaient depuis toujours.
Ma grand-mère maternelle quant à elle, naquit à Salonique en Grèce. Elle faisait partie d’une famille de quatre filles dont les ancêtres avaient fui l’Espagne et le Portugal.
Mes grands-parents maternels eurent deux filles dont ma mère, l’aînée naquit en 1933.
Toute ma famille vécut la seconde guerre mondiale en France, déménageant à plusieurs reprises d’une région à l’autre pour se cacher et survivre. Des membres de notre famille furent déportés dont de très jeunes enfants.
Mon grand-père paternel qui avait survécu à cette terrible  guerre avec femme et enfants mourut à la libération d’une maladie intestinale relativement bénigne, laissant ainsi son épouse avec leurs six enfants à élever.
Du côté maternel, mon grand-père revint de la guerre ayant perdu son bras droit et  décidé à quitter la France avec femme et enfants. A cette époque, lorsque une famille juive pensait à émigrer, un de ses membres, souvent célibataire, partait en éclaireur visiter le pays et la ville pressentis pour évaluer les capacités d’adaptation pour le reste de la famille qui ensuite suivait ou non.
Mon grand-père maternel fit exception à cette règle. Toute  la famille prit le bateau pour Montevideo en Uruguay. Mais en arrivant là-bas, il comprit immédiatement qu’il ne s’acclimaterait jamais et ils revinrent    de là où ils étaient partis pour s’établir définitivement.

Aussi lorsque mes parents se marièrent, ce furent de joyeuses retrouvailles entre leurs familles respectives puisque ma grand-mère paternelle et mon grand-père maternel étaient tous les deux originaires de la même ville, qu’ils avaient survécu à la guerre et mariaient maintenant leurs enfants ensemble. Ce fut un beau mariage qui fut célébré à la synagogue dans la pure tradition ashkénaze par une chaude journée de l’été 1952.

A peine mariés, mes parents tentèrent leur chance à Paris où mon père avait reçu une proposition de travail d’un de ses frères. En effet, les deux aînés habitaient Paris et étaient installés dans le sentier où ils avaient des affaires de tissus et de vêtements en gros. L’expérience parisienne de mes parents fut de courte durée car ils ne s’entendirent pas avec le fameux frère.

A son retour, mon père monta une affaire de gros. Son magasin était presque en face de son autre frère qui lui était bonnetier et également dans la même rue que ses deux beaux-frères mariés à ses soeurs. Mon  père innova en créant la première boutique de prêt-à-porter en gros avec vitrine ! Là était la nouveauté : une vitrine qui présentait les vêtements comme dans une boutique de détail.
Ma famille n’avait pas d’argent après la guerre et n’en avait jamais vraiment eu avant non plus. Du côté de mes grands-parents paternels ils étaient aubergistes en Russie et en France, ils avaient toujours eu un commerce de vêtements mais qui leur rapportait juste de quoi vivre. Du coté, de mes grands-parents maternels, ils étaient commerçants mais avaient de tous petits moyens. Et la guerre avait fait perdre à tous le peu qu’ils avaient. 
Aussi pour la génération des enfants qu’étaient mes parents,  mes oncles et mes tantes, monter une affaire de gros était ce qui était le plus facilement accessible financièrement tout en  correspondant à leurs capacités. Ils s’étaient bien sûr endettés pour acquérir ces commerces et travaillaient dur.
Leur force était de ramener de leurs voyages hebdomadaire les dernières nouveautés, ainsi tous les détaillants du département et même de la région n’avaient que quelques kilomètres à faire pour s’approvisionner. C’est grâce à cet avantage pour la clientèle que toute la famille s’enrichit très vite.
         
Ma mère travaillait avec mon père mais elle ne pensait qu’à une chose: quitter les bas-quartiers pour s’installer dans les beaux quartiers. Le quartier de gros, comme c’est souvent le cas, était situé dans le quartier populaire de la ville, ce qui n’était pas du tout à son goût.
Comme tous les juifs qui avaient vécu la seconde guerre mondiale, elle avait souffert de privations, du manque de nourriture, du manque de confort, du manque de sécurité en plus des humiliations. Ce qu’elle  voulait, c’était prendre sa revanche et le seul moyen d’y arriver était par l’argent.
Ma mère avait six ans lorsque la guerre avait éclaté et elle en  était restée profondément traumatisée. Elle avait peur d’à  peu près tout. Seule la sécurité et le confort qu’apportait l’argent viendraient à bout de ses   angoisses, de ses peurs.
Aussi, elle choisit comme mari un homme qui pouvait satisfaire ses besoins d’argent mais qu’elle pouvait aussi contrôler.  
Mon père avait le profil parfait de l’homme qu’elle cherchait. Il était fort physiquement mais lâche et manipulable.
Elle se cacha derrière lui presque toute sa vie et vécut par procuration. Le traumatisme de la guerre avait généré chez elle beaucoup de ressentiment et d’amertume qui allaient se transformer en vengeance. Elle ne pensait qu’à une chose : montrer au monde entier qui elle était.
Le seul moyen pour y arriver était  l’argent. L’argent devint sa seule motivation, sa seule valeur.
- "L’argent achète tout. Sans argent, tu n’es rien", m'a t-elle toujours dit.
Plus elle aurait d’argent, plus elle se sentirait forte, puissante et serait arrogante.  
Elle ne fit rien d’autre de sa vie que manipuler mon père pour obtenir ce qu’elle voulait.
Manipuler, intriguer, manigancer, diviser pour mieux régner, pour mieux éliminer ce qui la gênait étaient ses grandes qualités dont mon frère allait être le digne héritier.   

Selon sa vision, elle ne faisait que "guider" mon père. Je fus toujours étonnée de constater que cette femme qui ne pensait qu’à elle, qui passait son temps à critiquer quiconque se trouvait sur son chemin, qui se voulait le centre du monde, tellement imbue d’elle-même et de sa supériorité, ne choisisse de vivre les choses que par procuration.
C’est avec cet exemple devant les yeux, cet état d’esprit et cette conception de la vie que mon frère et moi fumes éduqués.
Mon père était totalement étranger à toutes ces subtilités,  durant toute son existence  il ne verrait rien ou plutôt ne verrait que ce que ma mère lui montrait. C’était un gros travailleur et pour lui, la seule chose qui comptait était de construire une famille et de vivre confortablement.                    
Cet homme qui paraissait avoir un tempérament fort et autoritaire, ne laissait aucun espace pour discuter ses ordres, enfin ceux de ma mère.

Toute notre famille travaillait dans le même quartier. Ils étaient tous commerçants dans le textile, depuis le tissu au mètre jusqu’à la robe de mariée en passant par la bonneterie avec ces caleçons molletonnés et le prêt-à-porter parisien dernier cri.  Et tout le monde était juif bien sûr. Le quartier était entièrement juif, il n’y avait pas un seul goy. Seuls les clients étaient goys. C’était la règle, c’était naturel.

Nous vivions tous aussi à côté les uns des autres. Il y avait donc le quartier où les parents travaillaient et ensuite le quartier où tout le monde vivait. Famille et amis de la famille. Nous étions tous voisins, rares étaient ceux qui étaient en dehors du périmètre. Et nombreux furent ceux, famille et amis qui nous rejoignirent au moins pendant un temps. Tout le monde était juif. La question ne se posait même pas car nous vivions entre   nous.
Nous n’étions pas pratiquants. Nous étions traditionnalistes. Cela veut dire que nous respections les grandes fêtes de Rosh Hashanah, Yom Kippour et Pessah, dates incontournables faisant partie de la perpétuation de la Tradition et pour lesquelles nous nous rendions à la synagogue.
La Tradition a toujours eu force de loi chez nous. Et la Tradition empiétait sur tous les domaines de la vie. Notre vie toute entière était la Tradition et donc la Loi. Une loi qu’il était inconcevable de transgresser. D’ailleurs personne n’y pensait jamais. Enfreindre la Loi aurait été pure trahison.

Ensuite bien sûr, il y avait plus ou moins d’affinités entre  les parents. Nous étions beaucoup plus proches de la famille de mon père. D’abord parce qu’il y avait deux tantes et trois  oncles avec conjoints et enfants, ce qui faisait beaucoup de monde, tandis que du côté de ma mère, il n’y avait qu’une soeur célibataire. Le travail créait aussi les affinités.
Ma mère et une des mes tantes par alliance qui étaient donc belles-soeurs par alliance  s’étaient tout naturellement rapprochées l’une de l’autre, victimes du droit de leurs aînées de belles-soeurs et de leur belle-mère à décider de tout pour elles. Et puis, elles avaient des goûts communs. Argent et vie de luxe étaient leur crédo !  
Il faut dire que nous avions affaire à de sacrés tempéraments! Ma grand-mère qui avait élevé six enfants, "une sainte femme" comme disait mon père qui lui vouait avec ses frères et soeurs un respect et une admiration sans borne, ne s’en laissait pas compter et dirigeait tout son monde d’une main de fer. Il n’était pas question de lui désobéir. Et je serai toujours sidérée adolescente de voir comment mon père était devant sa mère comme un petit garçon, aux ordres !
Un autre de ses frères, le second et le plus beau, ne se mariât jamais car il voulait épouser une goy. Sa mère le lui interdit. Ensuite, il voulut se marier avec une juive mais séfarade et "de mauvaise vie" car elle avait déjà eu plusieurs enfants de plusieurs lits, sa mère s’y opposa encore.
Il resta célibataire toute sa vie, mourut seul mais plein d’argent !
Ma mère, égale à elle-même, nous disait toujours :
- "J’ai toujours été la belle-fille préférée car ta grand-mère adorait mon père".      
Ce qui n’empêchait pas qu’elle et ma tante avaient à suivre les ordres de leurs aînées et même si elles se rebellaient contre cette toute puissance, rien n’y faisait, elles devaient le respect.
Le respect a toujours été dans ma famille l’argument de base pour obtenir obéissance absolue.
Pour ma grand-mère, elles étaient les épouses des plus jeunes fils alors il fallait "obéir" aux aînés. Mon grand-père paternel étant mort lorsque mon père n’était encore qu’un tout jeune homme, ses frères et soeurs plus âgés avaient veillé sur lui, et maintenant le pli était pris !
Ma mère enrageait encore davantage que ma tante qui, de tempérament plus souple, adopta une autre stratégie.
Enfin, ces deux belles-soeurs qui étaient de surcroît aussi les deux plus belles femmes de la famille, surnommées la brune et la blonde seraient de très proches amies presque toute leur vie. Mais l’amitié comportait pour ma mère, une composante de rivalité, de compétition. Elle était jalouse, voulant être la première en tout, la plus belle, la plus regardée, celle qui avait les plus beaux atours, la plus belle maison,    la plus belle voiture. Elle avait trouvé en ma tante à la fois sa référence et sa rivale. Et la rivalité se situerait au niveau de l’argent ! Mais ma mère serait seule à jouer à ce jeu-là. La grande différence entre elles était que ma mère manipulait mon père pour lui faire faire exactement ce qu’elle voulait tandis que chez ma tante, c’était mon oncle qui décidait.
Et mon oncle serait meilleur en affaires que ma mère !
       
Dans ce contexte familial, je naissais quatre ans après le mariage de mes parents et devenais ainsi leur premier enfant.
Ma mère souhaitait un garçon mais c’est de moi qu’elle accoucha. Mon père, cloué au lit avec 40° de fièvre, n’avait pas de préférence et ne réalisa même pas quand sa femme partit  accoucher. Ce fut mon oncle, le frère de mon père qui était aussi notre voisin qui accompagna sa belle-soeur à la clinique.
Elle mit plus de vingt six heures à me mettre au monde dans de terribles douleurs. Lorsqu’enfin je vis le jour, je refusais de me nourrir, de téter plus exactement. Je repoussais le sein qu’elle m’offrait et l’épisode  allaitement tourna très vite à l’aigre, c’est le cas de le dire. D’autant que le médecin accoucheur ne réagit pas assez vite et que ma mère se retrouva  avec des montées de lait dont elle ne savait que faire qu’il fallut traiter de manière drastique, ce qui lui provoqua une infection qui dura pendant plus de trois mois.
Cela commençait bien !
Ce fut un tel traumatisme qu’elle  jura qu’on ne l’y reprendrait plus. Aussi mon petit frère naquit six ans plus tard et encore après force argumentation de mon père.

Mon oncle, le frère de mon père et sa femme qui étaient mon oncle et ma tante préférés étaient nos plus proches voisins  avec leurs trois enfants, deux filles et un fils. Nous habitions dans la même rue, sur le même trottoir, juste à quelques maisons d’intervalle. Les deux soeurs de mon père dont l’une avait deux enfants, garçon et fille et l’autre  trois enfants des jumelles et un garçon habitaient une rue adjacente où elles étaient voisines de leur mère, ma grand-mère maternelle qui elle-même était voisine de palier de la mère de ma tante par alliance. Ma grand-mère maternelle avait marié un fils et une fille aux enfants de celle qui était devenue sa voisine. Un frère et une soeur mariés avec un frère et une soeur.
Toujours dans le même quartier, du côté de ma mère, sa cousine germaine dont la mère était aussi la soeur de ma grand-mère maternelle, décédée très jeune, habitait dans la même rue que nous avec mari et enfants.
Mais nous les fréquentions peu. Ma mère et sa cousine ne s’entendaient pas.
- "Nous avons une situation qu’elle n’a pas. Son mari est un fainéant alors il vaut mieux qu’elle ne voit pas ce que j’achète ni comment je vis, elle est déjà assez jalouse comme ça".
La jalousie joua un grand rôle dans la vie de ma mère.   
Une de ses tantes, une autre soeur de ma grand-mère maternelle, habitait avec son mari et leurs deux fils, encore un peu plus loin dans notre rue.
Là non plus, pas terrible l’entente ! Cette fois-ci la jalousie, c’est entre ma grande -tante et ma grand-mère, sa soeur.   
Une petite cousine habitait à l’autre bout toujours de la même rue.  Le frère de mon grand-père paternel, cette fois-ci deux frères mariés avec deux soeurs habitait juste à côté de ma grand-mère paternelle.
Comme nous habitions tous le même quartier, ça entrait et sortait sans arrêt à la maison. Les uns venaient faire la bise en passant, les autres avaient besoin de quelque chose, il n’y avait aucun formalisme et ma mère en était très contrariée. Elle s’en plaignait régulièrement à mon père, lui demandant d’agir auprès de ma grand-mère et de mes tantes mais mon père en était bien incapable.
C’était encore pire pendant les week-ends et les vacances.
Pendant un temps, nous possédions une très belle villa au bord de l'eau. Lorsque ses belles soeurs débarquaient sans prévenir, s’installaient dans les transats en attendant de se faire servir, ma mère pestait car elle devait passer son temps à la cuisine pour préparer les repas. Et dans la cuisine, elle n’entendait pas ce qui se disait, ce qui la rendait encore un peu plus folle de rage d’autant plus qu’ entre eux, ils parlaient le yiddish, qu’elle ne comprenait pas.
- "Chéri, je te demande de dire à tes soeurs et à ta mère de ne pas venir sans prévenir. Elles arrivent et font comme si elles étaient chez elles. Elles s’installent dans les transats et attendent d’être servies. Leurs enfants mal-élevés filent directement dévaliser le réfrigérateur et moi je ne suis bonne qu’à préparer à manger. Il n’y rien à faire pour qu’elles partent avant le soir et encore. Je n’en peux plus. Ça ne peut plus durer."

Mon père ne parla jamais à ses soeurs et encore moins à sa mère si bien que la seule solution pour ma mère qui "vivait un enfer avec la famille" fut de vendre la villa.
Désormais, nous irions à l’hôtel. Le problème était réglé.                 

Nous avions aussi de la famille à Paris, à Tel-Aviv et Haïfa en Israël, en Russie, à New-York et Miami aux Etats-Unis.
Cela me faisait plein de cousins et cousines mais j’étais plus proche des garçons car nous avions sensiblement le même âge tandis que mes cousines étaient soit plus âgées, soit plus jeunes. 


ENFANCE

De mes toutes premières années de vie dont je ne me souviens pas, ma mère me raconta encore et encore que son gros souci était que je ne mangeais rien, ce qui la désespérait.
Elle me retraça des centaines de fois les scènes de repas :
- "Tu ne voulais rien mettre à la bouche, j’achetais ce qu’il y avait de meilleur et tout partait à la poubelle. Toutes les petites côtelettes d’agneau, les haricots verts frais, tout était jeté. Même être à table avec tes petits cousins qui dévoraient n’y changeait rien. Tu ne voulais rien avaler. J’étais complètement désespérée d’avoir une enfant qui ne mange rien.
Quand tu étais encore bébé, je prenais toutes les petites cuillères en argent de la  maison que je faisais sauter sur le plateau en argent et dès que tu ouvrais la bouche, je t’enfournais une cuillère dans la bouche que tu recrachais aussitôt.
Je jetais des poubelles entières de nourriture. Tu étais une petite fille adorable, on aurait dit une petite poupée de saxe  mais qui ne mangeait rien. C’était vraiment désespérant pour une mère. J’aurai pu acheter des meubles en or avec tout ce que j’ai pu jeter. Ce n’est qu’à la naissance de ton frère que tu as commencé à manger." 
Sur les photos, j’étais petite et menue mais je ne paraissais pas sous-alimentée ou affamée. J’étais joyeuse et très vive.

Nous habitions une très belle maison de pierre que mes parents louaient à des coreligionnaires et qui se situait dans un quartier cossu de la ville.
Elle fut la maison de mon enfance. J’y vécus jusque à l’âge de seize ans avant de déménager dans un appartement.
Elle était sur trois niveaux. Le niveau rue comprenait le garage, la chambre de la bonne, la lingerie, la pièce de jeu et l’accès au jardin. Il y avait aussi sous l’escalier intérieur qui reliait le garage au vestibule, une porte "mystérieuse" en fer blindé qui suscita bien des questions de ma part et de celle de mon frère mais jamais aucune réponse.
Une fois la porte d’entrée de la maison franchie, il fallait monter un demi étage pour accéder à l'entrée qui desservait le salon et la salle à manger qui était un bel ensemble transversal entre la rue et le jardin, la  cuisine et son arrière-cuisine, le bureau de mon père. Il y avait ensuite un autre escalier qui desservait l’étage avec ses trois chambres, la salle de bains et la salle de douche qui faisait aussi office de dressing.
-"Cette maison est vraiment épuisante à monter et descendre sans arrêt." répétait sans cesse ma mère.
Pourtant nous avions une bonne à tout faire qui vivait chez nous à plein temps. Elle n’avait que le dimanche après midi comme jour de congé. Plus une repasseuse.
Aussi loin que ma mémoire remonte, je n’ai jamais vu ma mère accomplir la moindre tâche ménagère lorsque j’étais enfant. Même pour les repas de fêtes, elle se débrouillait pour que ce soit ma grand-mère, excellente cuisinière et adorant cuisiner, qui les prépare. Elle formait aussi la bonne pour la cuisine quotidienne. Nous avions à notre service le plus souvent des espagnoles ou des portugaises.
- "Au moins, c’est pas comme les Françaises, elle ont le sens de la cuisine", disait -ma mère à qui voulait l’entendre.
Elle a toujours détesté les Français. Elle les méprisait. Pour elle, ils ne faisaient rien de bien.
D’ailleurs nous ne parlions jamais des Français mais des goys. Goy était le mot que tout le monde employait pour parler d’un Français, d’un non-juif. Toute la famille haïssait ces goys méprisables,  c’était normal.  
Ma famille qui avait été cachée et sauvée à maintes reprises par ces goys ne leur en était même pas reconnaissante.
- "Ils sont ordinaires, fainéants. Ils ne sont pas propres et tellement bêtes."  
Plus tard, entre ma mère qui dédaignait les Français et mon père qui toute sa vie critiqua la vie en France, préférant les Etats-Unis, je n’eus de cesse que de vouloir quitter ce pays.
On m’avait appris à ne pas l’aimer. On m’avait appris que seule ma culture et ma religion comptaient. Que finalement être Français ou de n’importe quelle autre nationalité revenait au même. On m’avait appris que l’on pouvait vivre partout à partir du moment où l’on faisait ce que l’on avait à faire.
J’étais très perplexe.
- "Comment se fait-il qu’après avoir vécu toutes les horreurs de la guerre ici dans ce pays que vous détestez, vous soyez quand même restés? Je ne comprends pas. Je ne comprends pas que vous ayez voulu construire votre nouvelle vie dans un pays que vous critiquez tout le temps. Pourquoi n’êtes vous pas partis aux Etats-Unis ?"
Mon père me répondit :
- "On fait ce qu’on a à faire ici ou ailleurs, c’est pareil. Et puis à la fin de la guerre, j’étais encore très jeune, je venais de perdre mon père et il nous fallait gagner de l’argent pour survivre. J’ai arrêté l’école très tôt pour aider ma mère et mes frères et soeurs."  
- "Oui bien sûr mais avant de te marier ou juste au début de votre mariage, vous auriez pu partir. Tu aurais pu choisir d’aller dans un pays qui te plaisait davantage."     
Ma mère me répondit:
- "Tu sais moi je suis partie pour vivre avec mes parents et ma soeur à Montevideo. Mais nous ne connaissions personne là-bas. Ici au moins, nous connaissions tout le monde. Nous n’étions pas seuls."
C’est vrai que j’ai toujours constaté un vrai paradoxe entre la critique permanente de la France de la part de mon père, le mépris constant de ma mère pour les goys et le fait qu’ils ne partent jamais. C’était pour moi totalement illogique.    
     
Le quartier était agréable et bien fréquenté: il n’y avait que des juifs et quelques familles non-juives de médecins, d’avocats et autres professions malgré tout respectables.
Chez nous, je veux dire chez les juifs, presque tout le monde était de la même génération, celle de l’après-guerre, qui s’était mariée et avait des enfants. Et nous vivions entre nous.
Le seul endroit où je rencontrais des non juifs était à l’école parce qu’il n’y avait pas d’établissement scolaire juif dans notre ville. Je fis toute ma scolarité à l’école publique de la République.
La maternelle était située à environ à huit cent mètres de la maison, c’est ma mère qui m’accompagnait. J’ai peu de souvenirs de la maternelle. Mes premiers souvenirs remontent à l’école primaire. J’étais une élève sérieuse et appliquée mais aussi joueuse et sociable. J’avais plein de copines et voulais les inviter à la maison le jeudi après midi pour jouer. Mais je n’en avais pas le droit.
- "Pourquoi ?"
Ma mère m’expliqua :
- "Tu sais ma chérie, c’est mieux que tu joues avec tes cousins. Je ne veux pas que tes amies de l’école viennent à la maison."
- "Pourquoi maman ?"
- "Parce qu’ils sont différents de nous, nous ne devons pas nous mélanger à eux."
J’étais petite, six ou sept ans, et toute l’éducation que je reçus, tout ce qui me fut instillé aussi loin que je m’en souvienne était que nous ne devions jamais nous mélanger aux goys.  Jamais.
- "Il ne faut pas qu’ils voient comment nous vivons, ils seraient jaloux. Tu sais c’est à cause de la jalousie que l’on a toujours été massacré. Ils nous détestent tellement alors tu dois faire attention de ne jamais rien raconter de ce qui se passe à la maison."
Ma mère était obsédée par le secret. Il fallait toujours tout cacher même les choses les plus anodines à mes yeux. Elle avait peur de tout et de tout le monde. Tous les goys lui voulaient du mal.         
J’étais très jeune et cela suscita chez moi  une grande incompréhension. D’autant que j’adorais jouer, comme tous les enfants, à la poupée mais aussi à la marchande et au docteur. J’aimais beaucoup commander, décider, diriger, être responsable de quelque chose. Consciencieuse par nature, tout ce que je faisais était toujours avec beaucoup d’application. Seule ou avec d’autres enfants, je pouvais jouer des   heures tranquillement. Une fois plongée dans mes activités, j’étais une enfant sage et plutôt tranquille.
C’est comme ça que j’appris à jouer seule, jouant à tour de rôle, la marchande et la cliente ou le docteur et son malade.
C’est aussi comme cela que je compris que je ne devais pas fréquenter d’autres enfants en dehors de ceux de la famille et des amis de la famille car nous leur étions supérieurs. Les fréquenter, c’était nous abaisser.
Et ils étaient dangereux.     

Aussi lorsque mon frère naquit, ma mère qui mourrait d’envie de l’appeler David, refréna son désir et lui donna un prénom des plus communs.
Mon frère fit son entrée dans la famille au printemps 1962. Elle m'avait tout naturellement préparé à cette naissance:
- "Tu as six ans, tu es la grande fille, tu pourras t’occuper du bébé, le surveiller, jouer avec lui. "
A l’époque, on ne connaissait pas le sexe de l’enfant à naître. Je pris la chose très au sérieux, attendant ce bébé et cette responsabilité de pied ferme.     
Un poupon tout blond vint au monde. C’était un très beau bébé. Mes parents étaient fous de joie. Ma mère rayonnait.
- "Un garçon ! Tu te rends compte chéri", s’adressant à mon père.
Elle venait de mettre au monde un fils !
La vie lui offrait maintenant l’occasion tant rêvée de prendre sa revanche sur son père qui, lui, n’avait pas eu de fils. Il l'avait toujours traitée avec beaucoup de dureté et elle en était restée traumatisée.
- "Je n’avais même pas le droit de lire dans mon lit avant de m’endormir. Lorsqu’il revient de la guerre avec un bras en moins, son caractère empira encore et je devais tout faire pour lui. Il me donnait des ordres que je devais exécuter dans l’instant. Je n’avais pas une minute pour moi, j’étais devenue son bras droit. Heureusement qu’il y avait ma mère que j’adorais mais elle n’eut jamais droit à la parole et c’était moi qui devait la défendre lorsque mon père s’en prenait à elle."
Et même si elle ne se laissait pas faire, c’était quand même son père et elle lui devait le respect.
Là encore, respect signifiait obéissance absolue et il était  impensable de manquer de respect aux aînés.
Ma mère, très ambitieuse,  devint de plus en plus orgueilleuse au fur et à mesure qu’elle obtenait ce qu’elle voulait de la vie.
Et la naissance de mon frère fut pour elle, le début de l’ascension vers la démonstration de sa perfection.
Elle avait réussi là où son père avait échoué.
C’était une grande victoire pour cette femme qui n’a jamais compris les relations humaines autrement qu’en rapport de forces : dominant ou  dominé. Elle me dit un jour :
- "J’ai toujours su ce que je voulais et j’ai toujours fait en sorte de l’obtenir."
Après son mariage, lorsque mon grand-père arrivait à l’improviste à la maison, elle le recevait vertement.

En devenant l’épouse de mon père dont elle savait très bien que la famille avait plus d’argent que la sienne et surtout en aurait encore plus à l’avenir au vu de leurs ambitions à tous, elle acquérait une situation de plus en plus confortable et pouvait ainsi subvenir aux besoins de ses parents qui avaient toujours eu depuis le retour de la guerre de mon grand-père des problèmes de travail et d’argent.
Ma grand-mère, par exemple, travaillait comme caissière d’un de nos magasins. Ainsi, mes parents assuraient à mes grands-parents l’argent dont ils avaient besoin pour vivre, ce qui changeait la donne et en conséquence son attitude envers eux et notamment son père.

Elle jubilait littéralement d’avoir un fils.
Dans la religion juive, c’est important d’avoir un fils. C’est  encore mieux s’il est le premier né mais même en seconde position, ça va aussi. L’honneur est sauf ! D’autant que pour l’instant, il n’y avait qu’un garçon dans toute la famille pour pérenniser le nom. Mon frère était donc le second. 
Aussi à peine né, les discussions allèrent bon train pour savoir qui serait son parrain,  qui serait celui qui aurait l’honneur de tenir le bébé pendant la Brit-Mila (la circoncision). Ils étaient deux en lice parce que ma mère avait malencontreusement promis au mari de sa cousine germaine qu’il serait le parrain. Sauf que cela ne se faisait pas, le parrain devait être un frère de mon père, alors il y eut dispute.
C’est dans ce contexte familial que mon frère fut circoncis et eut deux parrains.

C’est aussi à partir de sa naissance, que les choses changèrent pour moi de manière drastique.
Comme annoncé et promis, à chaque fois que c’était possible, je m’occupais de mon petit frère. Or un jour alors qu’il n’avait encore que quelques mois, ma mère me le retira brusquement des bras pendant que je le consolais d’un gros chagrin.
Son geste choqua profondément la petite fille que j’étais et marqua à jamais la rupture entre lui et moi.
Ma  mère n’a jamais été tendre. Jamais aucune démonstration affective, jamais un seul câlin, jamais la moindre chaleur. Lorsque enfant, j’étais  en demande de bisous, je m’approchais d’elle mais elle ne comprenait pas ce que je voulais. Je ne l’ai jamais vue, je ne l’ai jamais sentie avoir la moindre émotion sincère. Elle était vide de tout sentiment, même la bise du matin et celle du soir, étaient dénuées de toute chaleur humaine, ressemblant plus à un automatisme froid, indifférent et distant.
Naturellement ce fut la même chose pour mon petit frère.
La seule personne qui nous témoignait un peu plus de chaleur, ne serait-ce parce qu’elle nous faisait des bisous à chaque fois que nous étions avec elle, était ma grand-mère maternelle.
Mon besoin inextinguible d’amour, de tendresse, d’affection et de reconnaissance allait générer les drames et les souffrances  de ma vie.
Le point positif était que cette souffrance développerait aussi  chez moi une grande sensibilité, une acuité à l’observation et au ressenti même si je mettrais du temps à l’utiliser.  

Des années plus tard, me remémorant ce jour terrible où ma mère m’avait enlevé mon petit frère, je réalisais qu’elle ne pouvait pas laisser un lien fort s’établir entre mon lui et moi. Elle était une femme dotée de peu d’intelligence mais très instinctive. Sa devise était : diviser pour mieux régner.
Je la sentis dangereuse très tôt mais pas mon père que j’aimais énormément. Il paraissait me le rendre, au moins par moments. Ce n’est que plus tard que je réalisais qu’il était comme eux, même pire puisqu’il était une marionnette inconsciente entre les mains de sa femme puis de son fils, en plus d’être d’une lâcheté au-delà du concevable. Ce constat fut un des plus difficiles à accepter dans ma vie.
Autant ma mère était une femme totalement prévisible dans ses réactions, autant mon père pouvait être relativement bienveillant par moments, d’une méchanceté et d’un violence  surprenantes à d’autres. C’était surtout flagrant lorsque je m’opposais à lui sur des questions me concernant.
Mes idées étaient toujours à l’opposé des leurs. Je ne voyais jamais les choses comme eux mais tant que nous évoquions des sujets neutres et superficiels, des questions d’actualité sans importance, ils me laissaient m’exprimer et nous avions même des échanges. Par contre dès qu’il s’agissait d’aborder une demande, un besoin, un désir et pire une revendication qui me tenait à coeur, son attitude changeait. Il devait le sentir et là, je recevais pour toute réponse un rejet violent qui clôturait le débat.
De nature frontale, je partais me fracasser régulièrement pour défendre mes besoins, mes désirs contre cette autorité oppressante. A chaque fois, je revenais vaincue, ayant perdu un peu plus de ma confiance, un peu plus niée, un peu plus maltraitée, un peu plus dévalorisée. Je me sentais forte intérieurement mais extérieurement j’étais totalement impuissante, ce qui contribua à me couper de cette confiance, de cette force intérieure qui ne trouvaient  jamais écho à l’extérieur ! Au fur et à mesure, je me coupais de ma nature profonde, de mon intuition et me réfugiais dans le travail ou dans la nourriture.
Je sentais qu’ils se livraient contre moi à une démolition en règle sans pour autant pouvoir le prouver et surtout pouvoir en sortir.
J’étais seule, jamais épaulée par personne alors que j’avais une très grande famille.
Je soupçonnais d’ailleurs ma mère de travailler de façon indirecte, insidieuse et souterraine contre moi auprès des membres de ma famille, au vu de leurs réactions à mon égard. Elle me chargeait de tous les torts et défauts dont le plus visible était bien sûr ce manque de respect, cette capacité à répondre, à argumenter en pointant le décalage de traitement auquel j’avais droit constamment comparé à mon frère ou à mes cousins. Tandis qu’ils niaient, arguant de mon caractère difficile, ils affichaient leurs bonnes intentions de parents exemplaires tandis que j’étais "une enfant difficile avec des idées bizarres dans la tête". 
Toutes les apparences étaient contre moi. D’autant qu’extérieurement, j’avais matériellement tout ce dont j’avais besoin.
- "Je ne sais pas ce que tu as dans la tête pour avoir des idées pareilles. Nous faisons tout pour toi. Tu as tout ce que tu veux. Tu es trop gâtée !"
Visiblement, ils ne comprenaient rien à mes besoins.    
Pas soutenue à l’intérieur de la famille, quant à  l’extérieur, on m’avait appris que si je "sortais", le simple fait d’être juive me mettrait en danger. Alors, où  était la solution?

Mes besoins affectifs allaient me mettre dans des situations inextricables.      
Pour rajouter au désastre, ma mère s’évertua à "transférer" mon rôle d’aînée à mon frère afin que je sois encore un peu plus soumise à leur domination.
Mais je ne me laissais pas faire et étais punie pour cela. Ma mère m’avait acheté un petit cahier qui se fermait avec un cadenas dont je cachais la clé après avoir écrit mes pensées du jour. C’était mon journal intime. Chaque soir, j’y relatais les évènements vécus dans la journée, mes petits secrets, mes ressentis. Or un jour, elle fouilla dans mon bureau et trouva la clé.
Ce fut terrible. Je fus très sévèrement punie pour ce que j’y avais écris. Elle attendit que mon père rentre du travail, lui raconta l’histoire et je reçus une correction dont je me souviendrais toute ma vie. Mais ce ne fut pas tout. A partir de ce jour, j’avais interdiction de fermer tout tiroir ou placard à clé et elle fouilla ma chambre régulièrement. A chaque fois qu’elle y trouvait quelque chose de caché, je recevais à nouveau une correction par mon père. Ce qui arriva même lorsque je cachais des bonbons entre le matelas et le sommier de mon lit. C’est aussi à ce moment là que débuta la punition préférée de ma mère : les lignes. Je devais faire des centaines de lignes, la règle était de 500 " Maintenant je respecterai mes parents. Plus jamais je ne les critiquerais....". Cette punition dura des années. A chaque fois que je disais quelque chose qui ne lui convenait pas, j’avais droit à des lignes et interdiction de sortir de ma chambre, même pour prendre le repas, tant qu’elles n’étaient pas terminées.      
Après cet épisode, j’eus toutes les peines du monde à consigner par écrit mes expériences vécues, pensées et ressentis. Même certains de mes devoirs de français me posèrent problème à  rédiger. J’avais peur d’écrire ce que je pensais. Encore aujourd’hui, il m’est plus facile de m’exprimer en paroles que par écrit.   

Mais il y eut pire : des punitions  plus sournoises et dévastatrices que d’autres.
L’été, femmes et enfants partaient les deux mois de vacances à la mer. Nous avions tous des villas, achetées ou louées et tous, à côté les uns des autres. Nous passions nos journées à la plage. Après le pique-nique de midi, il me fallait attendre des heures avant de pouvoir à nouveau aller me baigner. Ma mère était intraitable sur le temps de digestion au point qu’elle regardait l’heure à la minute près tandis que mes tantes, beaucoup plus laxistes, laissaient leurs enfants se baigner beaucoup plus tôt. Cette attente était interminable à tel point que lorsque j’avais enfin le feu vert, mes cousins, eux, sortaient de l’eau. 
Je me baignais ainsi toute seule pendant des étés entiers. Alors que je n’étais encore qu’une petite fille, cela me traumatisa et m’isola totalement. Si je ne jouais pas avec mes cousins, je ne jouais avec personne puisque nous n’étions qu’entre nous.
Aussi, à l’âge de dix ans, je sautais sur une opportunité qui me fut offerte : partir en colonies de vacances juives avec mes cousins et cousines plus âgés.


ADOLESCENCE

C’est avec la Guerre des Six jours que je pris conscience du gouffre qui allait s’installer progressivement entre mes idées et celles de mes parents. Je venais de fêter mes onze ans quand cette guerre éclata.  J’étais  donc au tout début de mon adolescence, et je croyais en un dieu bon et miséricordieux. J’ai toujours été très croyante. Depuis plusieurs années, je suivais les cours religieux qui préparent à la Bat/BarMitzvah (communion juive fille et garçon). Je n’étais pas intéressée à la faire surtout que je savais qu’elle n’avait aucune valeur religieuse pour les filles. Mais aller à ces cours me permettait de fréquenter des amis de mon âge, étrangers à la famille mais juifs.
D’un autre côté, je pensais qu’il n’était pas nécessaire d’aller à la synagogue pour prier dieu, je me mettais à la fenêtre de ma chambre le soir pour lui demander de nous aider à arrêter cette guerre et de nous protéger. Mes parents me répétaient à chaque occasion que nous avions toujours été massacrés en tant que juifs et que tout le monde voulait toujours nous détruire.
Et lorsque je demandais:
- "Pourquoi ?"
Il me répondaient invariablement :
- "C’est la jalousie, nous ne sommes pas comme les autres. Nous sommes le peuple élu par dieu alors, ils veulent nous détruire. Mais tu vois nous sommes toujours là après plus de cinq mille ans."
- "Comment c’est possible ?"
- "Parce que l’on ne s’est jamais mélangé aux autres. C’est pour cela que nous ne voulons pas que tu fréquentes les goys. Tu n’as rien à faire avec eux."
Mais mon grand-père maternel, franc-maçon, me fit un jour une tout autre réponse que j’allais garder en mémoire.
- "Nous avons toujours été massacrés parce que nous n’avons jamais voulu dévoiler la connaissance, le secret de notre pouvoir et de notre puissance."
Cette explication me marqua bien que je ne la comprenne pas vraiment.
Je savais depuis toute petite que j’appartenais à une religion pas comme les autres, que nous étions peu nombreux, que nous avions toujours été massacrés, que malgré toutes ces horreurs, nous étions toujours là, cinq mille ans plus tard, plus forts qu’avant.
Et je me demandais comment il était possible d’être "aussi formidable" comme disait ma mère.
Cette question relative à notre puissance inversement proportionnelle à notre nombre fut pour moi une question de fond depuis toujours.
Comment pouvions nous avoir autant de pouvoir en étant si peu nombreux alors que nous étions toujours massacrés ?
Je gardais la réponse de mon grand-père dans un petit coin de ma tête. 

Je comprenais très bien qu’avoir un pays était important pour nous, pour notre religion.
- "Israël nous protège, il protège les juifs du monde entier. Avec lui, plus jamais on ne pourra nous massacrer."
Israël était donc notre bouclier. Désormais, il assurait notre survie et la survie de notre religion. C’est vrai qu’on s’en était bien sorti finalement de tous ces malheurs.
Je sentais que ce mot de "religion" était inadapté,  limité, que ce que nous étions, que ce que nous vivions, que ce que nous défendions depuis des milliers d’années dépassait de loin la notion et la définition que l’on donne habituellement à ce mot.      
Le fait est que je pris néanmoins fait et cause pour Israël et fut petit à petit, moi aussi, habitée par cette fierté et cette rage de vaincre l’ennemi : je n’étais pas n’importe qui et je n’allais pas me laisser faire.
Tandis que les discussions allaient bon train à la maison, je ne comprenais pas quand même pourquoi Jérusalem ne serait pas  la capitale des trois religions plutôt que celle d’une seule.
Je trouvais que c’était une manière simple et équitable de mettre tout le monde d’accord. J’étais jeune et naïve !
- "Nous avons gagné! Cette victoire est la nôtre, celle de tous les juifs. A partir de maintenant, les choses vont changer", répondirent mes parents.
Mes parents et plus largement ma famille n’étaient engagés dans aucun mouvement politique, religieux ou autre, ils étaient juifs,  point final. En tant que tels,  ils ralliaient la cause commune dont Israël devint le symbole à l’occasion de cette victoire et serait bientôt le ciment.
Tous les ans, nous recevions d’énormes caisses en bois pleines d’oranges et de pamplemousses. C’était une façon de participer. Mes parents donnaient aussi de l’argent.

Je ne connais pas un juif qui n’aide pas d’une manière ou d’une autre Israël. Ce pays a toujours été crucial pour notre peuple. Il déchaîne chez tous les juifs que je connais une passion irrationnelle. Les juifs sont beaucoup plus attachés à Israël qu’au pays dans lequel ils vivent. C’est indiscutable même s’ils prétendant le contraire. Au mieux, ils sont indifférents au pays dans lequel ils vivent. Par contre, Israël est une bénédiction. Les Juifs le considèrent comme leur patrie, comme un refuge, un endroit où l’on investit, où l’on passe ses vacances, où l’on envoie ses enfants en vacances, étudier, travailler, où l’on prévoit sa retraite, où l’on retrouve ses amis. Curieusement, les juifs de la diaspora s’y sentent en sécurité. Israël leur donne plus de force, plus de puissance, plus de pouvoir.
Ils ne voient absolument pas les évènements qui s’y déroulent de manière objective et sont complètement fanatisés sur par cet état, tout âge, sexe et profil social confondus.

Ce fut mon cas aussi pendant une période. Je me souviens d’un cousin israélien qui venait régulièrement nous rendre visite. Il nous racontait combien la vie était dure et chère. Sur ses trois fils, il y en avait toujours un à l’armée. Le service militaire durait trois ans minimum. Une fois terminé,  et installé dans la vie, il devait une période annuelle à l’armée.
J’étais d’autant plus étonnée qu’ici tous les garçons de la famille se faisaient réformés. Je n’en ai jamais vu aucun faire son service militaire. Un de mes oncles connaissait "quelqu’un qui s’occupait de tout" moyennant finances.
Moi, je fus très jeune attirée par ce que revendiquait Israël : le droit de vivre dignement pour les juifs. Aussi j’étais bien décidée à y partir mais il me faudrait attendre encore quelques années.
Lorsque, enfin, j’atteins l’âge requis, je demandais à mes parents à y partir. Pour une fois, je n’eus pas à argumenter. Je découvris donc Israël la première fois à quinze ans grâce à l’Agence Juive.
Faire le tour du pays était intéressant mais pas suffisant, j’étais frustrée. Je voulais m’impliquer, faire quelque chose d’autre que me dorer sur les plages et visiter. L’année suivante, je partis avec le Bnai Brith travailler dans un mochav au nord du pays près de la frontière libanaise. Cette vie me plaisait beaucoup. J’y découvris que l’on pouvait aussi faire un stage dans l’armée. Les filles pouvaient s’inscrire au même titre que les garçons. L’été encore suivant, je fis mon stage dans l’armée. Notre camp était situé en plein désert. L’entraînement commençait à cinq heures du matin pour se terminer à 16 heures où je courais me baigner dans ce qui servait de piscine. Ce fut une expérience épuisante mais passionnante. J’étais très loin de ma petite vie bourgeoise en France et je fus totalement enchantée.

Les vacances en groupe constituèrent mon seul espace de liberté jusqu’à ma majorité. Ces organisations juives étaient très pratiquantes mais cela ne me gênait pas, au contraire, j’y prenais un certain plaisir d’autant que j’y avais plein d’amis filles et garçons que j’étais susceptible de retrouver aux prochaines vacances. Et puis c’est au cours de ces vacances, que je rencontrais mon premier amour. Il n’était donc pas question pour moi de perdre ce moment de joie, d’amusement et de liberté.  
Mais mon frère ne voyait pas du tout les choses du même oeil. Dès qu’il eut atteint, lui aussi, l’âge de partir en groupe, nos parents voulaient que l’on parte dans la même organisation même si nous faisions partie de groupes d’âge différents. C’était plus pratique et plus facile pour mon père qui nous accompagnait à Paris au départ et venait nous chercher au retour du groupe et puis cela permettait que je  puisse veiller sur mon frère en cas de problème.
Or lui détestait partir en colonies de vacances. Ce qu’il voulait, c’était partir en vacances avec les parents dans les hôtels de luxe. Partir en colonies le rendait fou de rage et il rendait la vie impossible à tout le monde.   
Un peu plus tard, nos parents nous laissèrent le choix entre la colonie et les vacances avec eux mais il fallait que l’on fasse le même.   
Ce fut d’emblée un point de désaccord récurrent entre lui et moi à tel point qu’il finit par en venir aux mains pour m’obliger à faire ce qu’il voulait. Lui ne pensait qu’au luxe entouré de papa et maman et moi qu’aux vacances en groupe sans papa et maman.
Nos parents finirent par trouver un compromis : nous devions partir en colonies pour pouvoir ensuite partir avec eux. 
Le retour des vacances en groupe était toujours difficile pour moi, j’avais le cafard et puis il fallait que je leur rende des comptes au sens propre et au sens figuré sur tout ce que j’avais fait. Pour les comptes financiers, pendant le voyage de retour, je me dépêchais de dresser la liste de mes dépenses de glaces, cartes postales, téléphone et leur préparait la monnaie à leur rendre, puisqu’il fallait que ce soit au centime près. Pour le reste, je sélectionnais ce que j’allais raconter.      

Ma scolarité ne se passa pas trop mal. Dans les petites classes, j’étais appliquée et studieuse. Ensuite seulement lorsque les matières m’intéressaient mais je n’aimais pas l’école. Je n’aimais que les copains et copines que j’y rencontrais. Plus le temps passait, plus j’avais de camarades non-juifs. Cela ne me posait pas de problème. Au contraire, je découvrais un autre univers. Et ils n’étaient pas du tout comme on les décrivait à la maison.
Lorsque je racontais à la maison ce qu’il en était, les commentaires étaient :
- "Fais attention, ne te fis pas aux apparences. Ils nous détestent et sont jaloux de nous. Tu ne peux pas faire confiance à un goy. Tu ne dois pas te familiariser avec eux". 
- "Oui mais je suis passe le plus clair de mon temps à l’école avec eux, alors comment je fais? Vous n’aviez qu’à nous faire vivre en Israël, au moins je ne me serais pas mélangée avec eux ni avec personne  d’autre d’ailleurs que des juifs."
- "Bien sûr, tu vas à l’école avec eux puisqu’on ne peut pas faire autrement mais garde tes distances. Tu ne dois pas les fréquenter en dehors de l’école. Ces goys sont ordinaires. Toi, tu es notre fille, tu n’as rien à voir avec eux."
Toute mon enfance, toute ma vie, j’entendis la même chose.
Entre les goys et les Allemands, c’était insupportable.
A chaque fois, enfant, que je demandais à ce que l’on me  raconte des histoires de famille, il n’était question que de la guerre, de la vie misérable de mes ancêtres, de persécutions, d’émigrations.
Le pire furent les récits de la guerre. Mon grand-père était revenu un bras en moins et ma mère disait ""entendre le bruit des bottes allemandes dans sa tête sans arrêt".    
Mais lorsque arriva le moment de choisir ma seconde langue au lycée, je choisis l’allemand.
Ma mère pleurait :
- "Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour avoir une fille pareille? Tu le fais exprès, c’est pas possible ! "
- "Mais non maman, justement lorsque tu connais la langue de ton ennemi, tu es bien plus armé pour te défendre. "
Cet argument la calma.            
A chaque repas de fête, nous avions droit aux histoires de la guerre : où ils s’étaient cachés, comment cela se passait avec les Allemands, les Français collabos, les Italiens puisque ma famille avait beaucoup bougé, le manque de nourriture, mon oncle qui avait failli mourir de la tuberculose, les membres de la famille arrêtés et déportés, enfin la peur au ventre constante.        
Un soir, où j’en avais assez, je leur dis:
- "Nous sommes la seconde génération, on ne peut pas parler d’autre chose les soirs de fêtes. Peut-être que l’on peut parler de choses plus gaies."
- "Il n’y rien de gai dans notre histoire et vous ne devez jamais oublier ce que l’on nous a fait, jamais. Il ne faut jamais oublier." 
- "A chaque repas de famille, depuis que je suis petite, ce sont  les mêmes sujets qui reviennent, je ne risque pas d’oublier."
- "Tu sais cela a été très dur et on ne savait pas si l’on s’en sortirait. On ne savait pas ce qui se passait à ce moment-là. Jamais personne n’avait entendu parler de camp de concentration et de chambres à gaz. Nous l'avons su que lorsque la guerre fut finie. "


Cette guerre avait été terrible. Les juifs ashkénazes dont nous faisions partie étaient marqués psychologiquement au fer rouge. Mais le temps passant et Israël devenant de plus en plus puissant à tous  points de vue, nous allions tous mieux. Je parle de nous, car nous les enfants, avions hérité de cette guerre même si nous ne l’avions pas vécu véritablement mais seulement par procuration. Il n’empêche qu’elle nous avait été bel et bien transmise comme un héritage, un patrimoine de valeur à entretenir. C’est de cette manière que, nous, enfants de la seconde génération le reçurent.
Nous avions obligation d’honorer la mémoire de nos proches qui nous avaient quitté dans des circonstances atroces.
Etre juif, c’est perpétuer notre histoire, notre identité. Et  notre identité, c’est la souffrance, le fait d’être toujours victime.
Cette identité de souffrance et de victime, il n’est pas question qu’elle soit diluée comme elle pourrait l’être si nous nous mélangions aux autres. Elle doit rester juive, purement juive.

Il y a dans notre culture une détermination, je dirais même une intention de perpétuer l’histoire de notre souffrance. Il y a une volonté de non changement. Je n’ai jamais observé le moindre changement de positionnement ni de discours. C’est même l’opposé.
Les juifs sont réfractaires au changement.
Ils ne font que paraître s’adapter au monde extérieur.       
Cette souffrance, elle était aussi comme exclusivement ashkenaze  à cause de la seconde guerre mondiale.
Nous étions supérieurs même là dans notre souffrance, si bien que nous avions des difficultés à nous mélanger aux séfarades.
Jusqu’à tel point que ma mère apprit par hasard que sa nièce, ma cousine germaine de cinq ans mon aînée se fiançait avec un juif pied noir. Sa belle-soeur et meilleure amie n’avait même pas osé le lui annoncer. C’était un drame. Je me demande ce qui ce serait passé s’il avait été goy. J’imagine que cela aurait été pire bien sûr mais là c’était déjà beaucoup. Car il était juif tout de même. Nous étions en 1970 et la mixité entre les communautés séfarade et ashkénaze était loin d’être évidente et facilement acceptée. D’autant que nos parents avaient de belles situations alors qu’eux étaient arrivés quelques années auparavant et avaient tout à reconstruire. Ma tante en fit une dépression. Ce futur cousin était pourtant un bel homme, charmant de surcroît mais sans argent. C’était l’époque où nous roulions en Jaguar et lui venait chercher sa fiancée en 4L. Ma mère fut près de ma tante pour la soutenir et souvent je surprenais des conversations qui étaient d’un racisme étonnant. Les ashkénazes que nous étions se considéraient encore supérieurs dans la hiérarchie. Nous méprisions les goys qui étaient inférieurs à nous, c’était normal et un fait acquis. Mais nous étions aussi supérieurs aux séfarades. Je ne sais pas comment ils vécurent cela mais j’imagine pas bien du tout puisque toute cette génération n’avait qu’une chose en tête : réussir. Et c’est ce qu’ils firent. Mon cousin par alliance  se fit une énorme situation qui lui permit d’être définitivement accepté jusqu’à ce qu’il commette le péché ultime : tromper sa femme publiquement.

Chez les juifs, les hommes trompent leurs femmes comme partout ailleurs. C’est bien un des domaines ou juif et non-juif ont indiscutablement un point commun. Mais les ashkénazes froids par nature sont plus discrets et peu expansifs au contraire des séfarades, plus démonstratifs, aussi dans leurs amours. Ce fut à nouveau le drame mais cette fois-ci, parce qu’il était connu et que la honte retombait sur la famille.
Ma cousine fut priée de divorcer. C’était une grosse bêtise  car elle aimait profondément son mari, quant à lui c’était une aventure parmi tant d’autres et  il l’aimait aussi. A cette époque, nous étions très proches, aussi je lui dis de bien réfléchir avant de demander le divorce car je pensais sincèrement que c’était une erreur. Je lui conseillais de faire quelques efforts pour être moins froide, plus chaleureuse avec son mari. Cette décision était liée à un ordre venant de son père et ce n’était qu’une question d’orgueil. J’étais moi-même déjà divorcée et je pensais que c’était du gâchis puisque finalement ils s’aimaient.
Elle savait que j’avais raison mais son père lui imposa le divorce alors qu’elle avait quand même trente sept ans.
 
Mon adolescence fut une période faste. Notre train de vie augmentait considérablement même si mes parents niaient avoir de l’argent. Nouvelles voitures, longues vacances dans les plus beaux endroits du monde, voyages, achat régulier de bijoux et autres signes extérieurs de richesse.    
Plusieurs fois, je leur fis cette remarque
- "Vous vous plaignez de la jalousie que nous suscitons parce que nous sommes juifs et d’un autre côté, vous roulez en Jaguar."
- "Cet argent on ne l’a pas volé, on a travaillé dur pour le gagner. Nous faisons ce que nous voulons de notre argent. Ta mère avait envie de cette voiture."
Ma mère voulait cette voiture à tout prix, elle fit même casser le garage pour la faire entrer dedans car mon oncle, le frère de mon père dont l’épouse était aussi sa meilleure amie, venait d’acheter la sienne.
Quand ma tante avait quelque chose de neuf,  il fallait que ma mère l’ait aussi. Aussi dans le désordre, il y eut les diamants, les Rolex en or, les sacs et autres accessoires Hermès, les bagages et sacs Vuitton, les vêtements Yves Saint-Laurent, Dior et autres marques, les fourrures, les voitures (Jaguar pour mon père et mon oncle - Triumph Spitfire pour les femmes), les meubles de grandes marques et autres. Bien sûr, cette liste est non exhaustive. Enfin on faisait la course au standing dans tout et pour tout.
Autre petit détail. Ma mère était la plus jeune belle-soeur puisque mariée au plus jeune fils.
Aussi lorsqu’ils se marièrent en 1952, sa belle-soeur et future meilleure amie  était déjà mariée et venait d’avoir une petite fille. Elle eut son second enfant, mon cousin, au printemps de l’année 1955 et je naissais au printemps de l’année 1956. Ma tante eut son troisième enfant au printemps 1961 et mon frère naquit au printemps 1962.
Concurrence à tout va !

Mais le pire fut sur le plan commercial. Mon père travailla seul pendant une longue période mais ensuite, il eut l’opportunité d’acheter un très grand magasin associé avec l’un de ses frères, un beau-frère et le frère de ce beau-frère. Cette association leur fit faire un pas de géant financièrement si bien que les femmes s’associèrent à leur tour dans une superbe et grande boutique dans les plus beaux quartiers de la ville. Là encore, l’argent entrait à flots, et plus que jamais il fallait que ma mère et ma tante soient sur le même pied d’égalité en apparence. Le plus frappant fut les bijoux puisque pour les vêtements, il y avait maintenant le magasin. Elles se transformèrent en arbre de Noël ambulants. Néanmoins cette association fut de courte durée, elles séparèrent et créèrent chacune une boutique où elle se firent la guerre des marques. Le combat parut féroce car les marques changèrent souvent de main avant que cela ne se calme.
Malgré tous ces problèmes, les relations n’en furent pas ternies. Visiblement ce type de comportement ne changeait rien au cours de la vie ni au cours de la relation des personnes impliquées. J’appris ainsi que le frère de mon père, qui était un homme d’affaires redoutable avait volé son beau-frère (le mari d’une des soeurs) de plusieurs millions pendant leur association. Et ils étaient restés en bons termes.
Pour ma part, j’oscillais sur le problème de l’argent. D’un côté, j’appréciais que mes parents puissent me payer des vacances en groupe, j’aimais avoir tout ce dont j’avais besoin et d’un autre côté les signes extérieurs de richesse me mettaient mal à l’aise, montrer ainsi avec ostentation me semblait provocateur. Mes parents m’avaient enseigné que l’argent était la seule chose qui comptait et qui avait de la valeur dans la vie mais ils m’avaient aussi appris que les non-juifs étaient jaloux de nous. Toute ma vie, j’eus une relation ambivalente avec l’argent. Plus j’avançais en âge, plus ce que je voyais, ce que j’entendais me répugnait au point de me distancer de l’argent mais en même temps, c’était le seul moyen que j’avais pour être acceptée et reconnue comme ayant de la valeur à leurs yeux. Ce mélange n'allait pas faire bon ménage du tout.