mercredi 6 juin 2012

En Grèce, les partis de pseudo-gauche ne présentent aucune alternative lors des élections



Par Katerina Selin et Christoph Dreier

Le 7 mai 2012

Dimanche 6 mai, la Grèce tient ses premières élections nationales depuis le début de l'offensive lancée contre les droits sociaux de la classe ouvrière par l'élite grecque et l'Union européenne. Les élections sont assombries par la pauvreté et un désespoir grandissant qui est attisé par le vaste sentiment qu'aucun des partis n'exprime les véritables intérêts sociaux de la population.
« La violence, c'est de travailler 40 ans pour quelques miettes et d'avoir néanmoins à demander la permission de prendre sa retraite. [...] La violence, c'est le droit de l'employeur de vous licencier quand bon lui semble, » avait écrit l'enseignant de 44 ans, Metikis Savas, dans une lettre d'adieu avant de se pendre dans la maison de ses parents.
Le nombre croissant de suicides en Grèce n'est que l'expression la plus flagrante du vaste sentiment de désespoir qui se manifeste dans le rejet du gouvernement qui est responsable de l'organisation de la contre-révolution sociale de ces dernières années. Selon de récents sondages d'opinion, les partis actuellement au pouvoir, Nouvelle Démocratie (ND) et le PASOK, ont perdu, par rapport aux élections de 2009, près de la moitié de leur soutien. Le manque de perspective est toutefois principalement dû à la faillite des soi-disant partis de gauche. Ni la Coalition de la Gauche radicale (SYRIZA), ni le Parti communiste de Grèce stalinien (KKE) et ni le Front de la Gauche anticapitaliste (Antarsya) ne proposent une quelconque alternative sérieuse.
Malgré la colère sociale grandissante, SYRIZA estime que sa tâche la plus importante est de contribuer à la formation d'un gouvernement stable, capable d'imposer les mesures d'austérité exigées par l'UE. A cette fin, SYRIZA formule toutes sortes de demandes sociales et encourage l'illusion que celles-ci peuvent être appliquées au sein de l'UE.
« Nous accusons ND et PASOK de ne pas utiliser les armes de la négociation pour garantir une participation égale de la Grèce dans la zone euro, » a déclaré dans une interview dimanche dernier le candidat de SYRIZA, Dimitris Papadimoulis. Dans l'éventualité d'une entrée au gouvernement, SYRIZA entreprendrait des négociations plus dures avec les pays de l'UE. Son but proclamé est de rester dans l'UE tout en s'opposant aux mesures d'austérité.
Sur cette base, SYRIZA a mis en avant dans son programme électoral intitulé Front social uni tout un éventail de demandes sociales. Un programme en dix points mènerait prétendument la Grèce hors de la crise. Les revenus annuels de 500.000 euros ou plus seraient taxés à 75 pour cent et les coupes sociales seraient révoquées.
Pour ce qui est de la dette grecque, l'organisation écrit : « Il n'y a qu'une solution : l'annulation sélective de la plus grande partie de la dette, que ce soit envers des institutions financières ou des Etats. Puis la suspension des termes du remboursement de la dette restante à des fins de reprise économique, le service de la dette à des conditions plus favorables ainsi que des mesures pour le développement et l'emploi. »
Le manifeste électoral omet de préciser quel pourcentage de la dette doit être annulé, quand elle devra être versée et ce qu'on entend par « conditions plus favorables. » Une « annulation sélective » et même une suspension des versements des intérêts, voire une prolongation des échéances de remboursement a déjà eu lieu, ce qui est tout à fait dans l'intérêt des créanciers.
A y regarder de plus près, toutes les demandes sociales formulées par SYRIZA se sont révélées n'être que des phrases creuses compte tenu de la reconnaissance de principe de la dette par l'organisation et du fait qu'elle défend l'adhésion à l'UE. Dans les deux cas, SYRIZA promet uniquement de conclure un accord légèrement meilleur lors de négociations que ne l'avait fait l'actuel gouvernement.
La détermination de SYRIZA à former un gouvernement stable capable de poursuivre la contre-révolution sociale est également illustrée par le fait que l'organisation est prête à former des coalitions avec presque toutes les autres forces politiques. En plus des appels lancés au KKE, SYRIZA appelle aussi à une collaboration avec des couches du PASOK et de Gauche démocrate (DIMAR) qui, quant à elle, est aussi impatiente de collaborer avec PASOK.
Dernièrement, le président de SYRIZA, Alexis Tsipras, a même annoncé qu'il compterait sur les voix des Grecs Indépendants pour arriver à une majorité au parlement. Les Grecs Indépendants sont dirigés par Panos Kammenos qui a été expulsé en février du parti conservateur Nouvelle Démocratie. Kammenos a créé un nouveau parti en mars et critique le dictat de l'UE par la droite. Les rangs du parti sont remplis de nombreux anciens membres de ND qui réclament une politique plus nationaliste pour défendre les intérêts grecs. Selon Kammenos, son parti n'est « ni de gauche ni de droite et ni du centre. Il est indépendant et, avant tout, nationaliste ». Le site Internet du parti souligne la nécessité d'un Etat fort.
Le Parti communiste stalinien grec, le KKE, suit une tactique différente. Il a rejeté jusque-là pendant la campagne toutes les ouvertures venant d'autres forces politiques et exclu toute participation à un gouvernement de coalition. Le KKE exige non seulement la répudiation de l'ensemble de la dette gouvernementale et le retrait de l'UE, mais aussi la nationalisation des principales banques et entreprises.
Contrairement à de nombreuses autres organisations pro-staliniennes, le KKE reste résolument attaché à Staline et à son héritage. Pendant une émission électorale, la secrétaire générale du KKE, Aleka Papariga, a qualifié la dictature nord-coréenne de pays socialiste. Après l'effondrement du stalinisme, les dirigeants du KKE étaient arrivés à la conclusion qu'un puissant appareil bureaucratique était nécessaire pour garder le contrôle sur les travailleurs.
A cette fin, le parti dépend lourdement sur son histoire stalinienne. Durant la guerre civile de 1946-49, le KKE avait fidèlement appliqué les dictats de Staline qui avait exigé qu'une révolution soit empêchée à tout prix en Grèce. A la fin de l'occupation par les nazis en décembre 1944, des troupes britanniques et grecques furent déterminantes dans la répression des travailleurs qui étaient organisés dans le mouvement de résistance antifasciste, l'EAM (Front national de libération). A l'époque, le KKE avait joué de son influence pour retenir les masses et il avait signé au début de 1945 le Traité de Varkiza qui stipulait le désarmement des travailleurs et avait ouvert la voie à la contre-révolution de droite qui allait suivre.
Cette politique fut justifiée par l'argument qu'une révolution n'était pas possible et qu'il était donc nécessaire de collaborer avec les forces bourgeoises. Le KKE se comporte de la même  manière aujourd'hui. Lors de la campagne électorale, il a mis en avant des demandes radicales dans le but de détourner la colère des travailleurs vers des canaux tout à fait inoffensifs pour ne pas mettre en péril l'ordre social.
Lors de grèves et de protestations, le KKE assume le rôle d'organisateur pour assurer la discipline. Tous ceux qui rejettent les deux principales organisations syndicales du pays, le GSEE et ADEDA, doivent être empêchés de s'organiser indépendamment, mais doivent au contraire rester sous le contrôle du KKE. Ceci est apparu clairement en décembre 2008 après de violentes manifestations survenues dans le centre d'Athènes suite au meurtre d'une jeune fille de 16 ans par un policier. Le KKE avait condamné les protestations et appelé au respect de l'ordre. Le KKE opère également par le biais de son propre syndicat, le PAME, pour isoler la grève qui se poursuit à l'usine sidérurgique d'Halivourgia Aspropyrgos où les travailleurs occupent l'usine depuis plusieurs mois. En refusant d'organiser des grèves dans d'autres usines et d'autres industries, le parti a effectivement empêché l'extension de la résistance.
Le PAME n'a jamais cherché à défier ni même à mettre en cause la camisole de force imposée à la classe ouvrière par les deux principales fédérations syndicales du pays. Le PAME, qui est lui-même une partie intégrante de la plus importante fédération syndicale, le GSEE, a participé à toute une série de protestations symboliques tout en refusant de demander aux travailleurs d'entreprendre une action indépendante sérieuse. Ce qui est caractéristique à cet égard, c'est un appel du PAME et du KKE à une grève symbolique de 24 heures le jour de l'élection, une fois que les dés auront été jetés.
Lors d'une émission électorale, Papariga a justifié cette ligne en faillite du parti en déclarant qu'une offensive révolutionnaire des travailleurs était impossible. « Nous ne nous trouvons pas dans une situation révolutionnaire, » a-t-elle dit, dans une situation où des millions de travailleurs sont en train de lutter en Grèce pour leur survie et sont en quête d'une perspective pour combattre la pauvreté et contrer les attaques menées par l'élite dirigeante.
Le refus explicite du KKE de mobiliser la classe ouvrière, ainsi que sa perspective foncièrement nationaliste annulent totalement le contenu progressiste de sa revendication de  sortir de la zone euro et d'annuler la dette grecque. Sous les conditions du capitalisme, une telle politique mènerait à un retour à la drachme, à l'hyperinflation et à la pauvreté de masse. C'est précisément dans une telle situation que le KKE propose ses services comme une force défendant l'ordre.
Toutefois, 2012 n'est pas 1945. Ni SYRIZA et ni le KKE ne jouissent d'une influence comparable à celle des staliniens à la fin de la guerre. Les manifestations du 1er mai organisées par ces partis ont été faiblement suivies et Papariga a été huée et raillée lors d'une visite électorale à l'Acropole en quête du soutien des travailleurs. Les travailleurs ont montré clairement qu'ils la considéraient, elle et le KKE, comme faisant partie de l'establishment politique qui est déterminé à intensifier les attaques sociales.